le journal du silence

voix populaire – L’écrivain chaux-de-fonnier Yves Robert met en lecture sa pièce «Journal du silence». Au creux d’une montagne, une femme en état de choc dialogue avec un chocard. Entre silence, oubli et mémoire à réinitialiser.

dans le silence d’une montagne

A 3000 mètres d’altitude, une alpiniste fracassée ne se remet pas d’une chute et d’une perte incommensurable dont le souvenir ne lui revient pas. «Journal du silence» aborde la mémoire perdue et que l’on retrouve. Avant d’explorer un deuxième volet en cours d’écriture, la perte de cette même mémoire. L’homme est écrivain de l’errance et de la force du vide. Que l’on se souvienne ici de la Ligne obscure filant une réflexion sur le personnage et l’écriture même. Là du Livre des tempêtes tout en théâtre intérieur. Ou de La Rivière à la mer dépliant les splendeurs et misères volontiers burlesques d’un être à la dérive.

Amnésie

Yves Robert est parti pour l’écriture de son Journal du silence d‘une amnésie traumatique dont souffre une femme immobile dans la neige. Et de se faire le sismographe de l’effort tour à tour désespéré, poétique et un brin philosophique de cet être blessé à l’esprit comme au corps de reconstituer sa mémoire. Et donc son identité.

La vie diminuée est‐elle pire que la vie supprimée, effacée et scellée dans son linceul de givre suit à une maladresse, un pas de côté de cette compagne de cordée? Pour elle, un temps: «Il n’y avait que du silence, c’était rassurant, des mots perdus dans ma tête.» Avant de se remémorer in fine ce petit bal perdu qu’elle a vécu avec l’homme et la mort, l’accident sur le versant:

Le rouge éclatant de leurs pattes, reflets écarlates aux extrémités des ailes, soutenu par le doigt de l’irréel, par‐dessus les précipices, au‐ dessus des abîmes. L’élégance du monde voletant maladroitement… c’est simple, beau.

Elégance d’un monde

La femme mène ce travail laborieux de ressouvenance en compagnie d’un oiseau – imaginaire ou non, on ne sait trop – qui est un chocard à bec jaune. Immortalisé par les délicates aquarelles du peintre Samival, ce chouca est dans la nature prompt à narguer les alpinistes accrochés à leur paroi de ses vrilles et voltiges. Il fait aussi signe de réconfort alors que l’alpiniste se croit abandonnée de tous plongé dans le brouillard. Son vol pure est tout entier contenu dans les lignes estampées par l’écrivain de la Tchaux et passée par la femme accidentée:

Le rouge éclatant de leurs pattes, reflets écarlates aux extrémités des ailes, soutenu par le doigt de l’irréel, par‐dessus les précipices, au‐ dessus des abîmes. L’élégance du monde voletant maladroitement… c’est simple, beau.

Mémoire et oubli

D’où l’envie de s’interroger sur la part d’action volontaire dans la disparition de la mémoire. Ainsi des événements et situations que l’on préfère ne pas se remémorer. Car bien trop douloureux. Si la douleur n’irradie encore moins n’existe au début la pièce, la fin montre la femme habitée d’une profonde connaissance de sa souffrance qui sonne comme une reconnaissance. Avec comme corollaire, «l’acceptation de la ruine du corps», souligne l’auteur en entretien. Qui met en scène son texte à deux interprètes, Laurence Iseli et Blaise Froidevaux dans une fidélité tendue au verbe incarné par un jeu voulu épuré et précis. Et une économie de moyens.

L’opus arpente aussi la reconnaissance ou non de l’irréel, interroge sur ce qu’une femme attend d’un homme. Et soupèse l’acception des rugosités entre l’homme et la femme à partir du moment où un parcours commun est empaumé, vécu, fait autant que défait par les nuits et les jours. Sommes‐nous faits de poussière d’étoiles alors que 97% de nos milliards de milliards d’atomes sont issus du cosmos? C’est l’énigme de la montagne qui n’est «ni cruelle ni aimante». Pourquoi dès lors s’acharner à donner un sens à ce qui n’en a pas? Être une femme de passions et d’émotions plutôt que de curiosité, voici l’une des voies tracées par ce Journal du silence.

Bertrand Tappolet