Pascal Bourquin – Gênes, ateliers et paysages

du 29 août au 15 septembre 2019

Gênes, 20 juillet 2001, un tableau de Pascal Bourquin

Lorsque j’ai visité l’atelier de Pascal Bourquin, une peinture se distinguait des autres et s’enfonçait dans le cœur comme une écharde. On y voyait le corps étendu de Carlo Giuliani, un manifestant de 23 ans tué lors du G8 à Gênes en juillet 2001. L’homme à terre est encerclé par une multitude de policiers en tenues antiémeutes, figures inquiétantes et dont presque aucune n’ose regarder directement vers le cadavre. J’ai eu immédiatement une affinité pour cette peinture.

En 2001, j’avais pris quelques notes à partir des relations journalistiques traitant de cette première grande manifestation internationale contre la globalisation. Cela avait constitué le matériel nécessaire à la conclusion d’une pièce de théâtre écrite, elle, en 2003 : La mort de Vladimir. Je l'ai raconté à Pascal et lui m’a confié avoir été arrêté parmi les manifestants ce jour à Gênes. Dans le centre de détention où il était retenu, il avait entendu cette phrase si éclairante de l’état d’esprit dominant les forces de l’ordre : on s’en est fait un ! Chaque année, le 20 juillet, Pascal rejoint Gênes et rend hommage à Carlo, mort à 17h27 sur la place Gaetano Alimonda, renommée à chaque fois : Piazza Carlo Giuliani – ragazzo. À l’évidence, cette peinture vient de loin. De manière générale, un parcours d’artiste qui ne s’inscrit pas dans le réel d’une façon ou d’une autre court le risque de se révéler insipide.

Parfois, la beauté et la présence du monde se discernent par l’équilibre des couleurs, de la composition, et permet à nous humains, de replonger dans une nature qui fut notre premier habitat et retrouver le plaisir des beautés simples. Telles sont ses toiles de forêts, de combes et d’étangs, une facette différente de son travail. En regard de celle exposant le cadavre de Carlo, ce n’est pas une dissonance, mais un contrepoint. Il y a les représentations d’ateliers, traces d’un passé industriel en disparition. L’homme est absent de l’image, pourtant la présence de son âme reste indélébile. Les fantômes des perdants de la disruption demeurent. L’homme réel et le travail réel ont été effacés par la robotisation et un progrès autoproclamé, mais toutefois le souvenir est tenace. Peindre, c'est résister à la vitesse et accepter la lenteur, c'est inscrire du temps sur la toile, y accrocher de la mémoire. On le voit, la palette de l’artiste est large, l’homme est complet, sa discrétion : une sagesse. Un pas de retrait afin de mieux cerner la complexité du monde et le donner à voir avec l’humilité du peintre. La représentation de la mort de Carlo Giuliani ne s’est pas faite sur un coup de tête ou dans la précipitation de l’émotion, elle a pris son temps, trouvé sa maturité et s’est construite dans la difficulté avec le souvenir et la douleur. Je ne sais pas s’il s’agit d’un exorcisme, car cette part de secret lui appartient. Ce que je sais, c’est que l’ensemble de son travail s’établit avec une démarche intègre.

Humblement, j'espère le travail d'expérimentation mené à l'atelier Grand Cargo être sur une ligne similaire. Soit ne pas être innocent et ne pas s’inquiéter des tabous, montrer ce qui nous apparaît être le monde, fût-il violent, indélicat et provocant, mais toujours s’accrocher à cette alouette fuyante : la rigueur, à ce nuage inaccessible : la beauté.

Yves Robert – Gênes, le 21 juillet 2019

Pascal Bourquin peintre

photographie Yves Robert

en quelques mots

Depuis sa première exposition en 1992, il trace son chemin en peintre autodidacte avec un passage à l’École d’art, section graphisme. Dans ce cadre, il perfectionne notamment la pratique du dessin. La photographie est le point de départ de ses peintures. Il utilise la mémoire de ce support, capture l'instant fugitif, rencontre fortuite ou planifiée avec la lumière afin de la restituer sur ses toiles, de saisir la variation des couleurs au fil des saisons. Les photographies initiales sont ensuite transformées en tableaux et dessins à l’atelier, à l’huile sur panneaux, pastels à l’huile, crayons de couleur ou encore fusain sur papier. Le format carré s’est imposé depuis plusieurs années, une fenêtre parfaite pour donner vie à ces différentes sensations. En 2009, lors de la participation à une exposition au Musée des Beaux-Arts à La Chaux-de-Fonds, dédiée à l’industrie, il a réalisé à quel point ces métiers sont peu représentés dans la peinture actuelle. Cela a induit une recherche et un travail de longue haleine et en perpétuelle évolution sur cette thématique spécifique. C’est un hommage à ce savoir-faire de notre région industrielle, à son grand-père horloger. Surtout au souvenir de l’atelier de ce grand-père, espace où Pascal Bourquin a grandi. Ce lieu était, crise oblige, à moitié vide et est devenu très vite son terrain de jeu favori.

œuvres

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